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Isularama
19 mars 2011

Oraison et déraison, les deux mamelles du destin

Et la manipulation continuait à se tricoter… Sans fioritures. Le jersey ordinaire de l’opportuniste prudent. Du réversible. Une maille à l’endroit, une maille à l’envers.

« Ça faisait d'incessants allers-retours entre le pont, où ça s'entretuait, et la cabine, où ça se terrait. En haut, de derrière un mât, ça criait aux hommes « Courage ! ». En bas, entrebâillant la porte, ça disait aux femmes, aux ecclésiastiques et aux marchands « Je viens d'un tuer un ! ». Et ça remontait aussitôt derrière son mât. Au cessez le feu, ça fut acclamé par la cabine avec tant de ferveur que l'équipage, qui noyé dans la poudre, la fumée et le sang n'avait rien vu de ce manège, tint ça d'office pour la plus belle et héroïque expression de la valeur des officiers survivants. Et, assurément, ça l'était. Les autres galonnés de la galiote étaient allongés sur le pont où les matelots les alignaient comme à la revue, et leur claquaient les bottes l'une contre l'autre pour que la rigidité cadavérique les prenne au garde-à-vous. » 
• Xavier Casanova, Codex Corsicæ II : une oraison en enfer (inédit).

Et ça te convoque Zeus…Et ça t'évoque la folie… Et ça te balance à travers mail « Ceux que Zeus veut perdre, il commence par les rendre fous. » Et ça te complète la sentence avec de belles injonctions paradoxales rétrospectives. Ça énonce ainsi après coup ce que tu aurais du faire spontanément pour conserver l’étiquetage « mec normal ». Et ça en appelle à la nature naturelle des naturels bien naturés pour nier la manipulation… En gros, ça te poursuit la relation sur le plus beau registre de la manipulation. Ecclésiastique. La fraction la plus romaine des adorateurs de la hiérarchie, s’entend. Ça ne veut surtout pas poser — dans les termes de leur résolution — la trame et les données d'un problème vieux comme le monde maritime et guerrier : la répartition du butin au retour d'une course ou d'une campagne. C'est vrai que jeter à la mer en fin de course qui déplaît aux dieux permet de mettre la main sur la part du mécréant, tout en se glorifiant d'avoir épuré l'équipage et l'humanité entière. Sous le regard de l’Olympe réputé complaisant. Avec sa bénédiction réputée souriante. C'est vrai aussi que, si un marchand fait sa loi sur le port, jeter à la mer qui lui déplait permet de conserver intact ses bonne grâces et le droit d'y décharger et vendre sa camelote. Le faire passer par dessus bord au nom des dieux, c'est alors faire coup double. Marché souriant. Olympe apaisé. Deux précautions valent mieux qu’une.

« On déchargea la couleuvrine sur le chien fou qui aboyait aux marsoins. Ce fut autant de viandes en plus à donner à la meute. »
• Xavier Casanova, Fragment d’un inédit de circonstance (inédit).

Ça avait écrit « escroquerie », une accusation grave. Ça avait reçu une réponse demandant des excuses. Ça disait « tu es en droit d’énoncer tes prétentions ; rien ne m’oblige à deviner ce que tu veux. » Ça répondait ne prétendre à rien d’autre qu’à l’exécration de la personne. Ça lisait en retour « Fais un effort, tu ne la hais point assez. » Et c’est alors que ça a fait entrer Zeus dans l’arène. Et que ça s’est mis à insinuer la folie dans le combat lui-même, après l’avoir déjà suggérée par ailleurs. Ça ne t’eut point déplu, donc, qu'outre pour escroc, la personne passat pour fou ? Tu as raison. Il n'est pas du tout sûr que l'escroc soit honni. Il ne l'est que s'il est ladre et ne redonne rien, alors qu'il est plus que d'autres en mesure de distribuer largesses et récompenses. Tant il est d'entourloupes que l'on applaudit plus qu'on ne les blâme. Tant est aussi la rédemption aisée à qui sait de ses prises faire charité. La folie est donc, dans ce cas, la piste à creuser. Est-elle la seule ? Non. Ça devrait aussi regarder du côté des possessions démoniaques. D’ailleurs,

« Qui, sauf le Diable, peut donner à un fou véritable les apparences de la raison ? (…) Garde en vue la nécessité de devenir au plus vite un croyant sincère, sinon ta poignée de dieux et de diables te filerait entre les mains comme du sable, rendant aussi vaine qu'impossible toute lapidation. »
• Xavier Casanova, Codex Corsicæ II : une raison en enfer (inédit).

Ça devrait faire un dernier effort ! Une exécration doit être si totale que l'éxécrant doit en être entièrement possédé, de la tonsure aux orteils. Dans la littérature spécialisée, par exemple, il en est qui se roulent sur la pelouse, se tiennent la cheville et grimacent ; d’autres qui se font pipi dessus. Ainsi, ça devrait entrer de plain pied dans la maîtrise profonde du symptôme et de son expression : chaque fois que ça le réalisera à la perfection, ça démontrera qui est véritablement la victime de ce mauvais œil qui tournoie, si injustement, et même si follement lancé. Encore faut-il que ça s’applique à se présenter sous une symptomatologie visible, lisible et interprétable. Unanimité oblige. Savoir hurler à la ruine ou au déshonneur pour les coups que l’on n’a pas reçu, ça se travaille.

« Et c'était le vertige. »
• Xavier Casanova, Codex Corsicæ suivi de Esquisse d'une théorie de l'interprétation des socioglyphes de Corse : Ajaccio : Albiana, 2005. (P. 121).
  

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