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Isularama
27 avril 2011

Fables inachevées : cinq nouvelles

COUV_FERRALI

Colonna édition vient de publier Fables inachevées (2011). C’est la traduction en français, par l’auteur lui-même, de Davantu u focu chi more (2010). Après Brasens, puemi è canzone (2008), Pierre-Joseph Ferrali signe ainsi son troisième ouvrage, tous édités sur le même catalogue.

DU TITRE CORSE
AU TITRE FRANÇAIS

À la traduction, le titre a glissé du registre du feu à celui de la fable, comme du registre de la mort à celui de l’inachèvement. Deux langages. L’un réfère aux tonalités primordiales et  éternisées d’une double fascination : le feu et la mort. L’autre à l’inscription du discours dans un genre cerné de longue date dans l’univers des lettres, et dans une temporalité qui, par son inachèvement, échappe au temps du récit, tel que d’un côté le compacte la fable, ou tel que d’un autre côté le développe l’Histoire. Mis en parallèle, les deux titres semblent nous donner le schéma de notre topique typique, les anodes et cathode de notre « condensateur », si on veut bien tenir la condensation comme un mécanisme fondamental en littérature : l’accumulation de sens dans le matériel symbolique travaillé par l’écriture. Représentons-nous, ainsi, notre propre topique comme un espace à deux dimensions. Sur l’une se déploient les instances du moi. Sur l’autre, les deux polarités du discours et leurs manières propres de réguler les jeux les plus ordinaires de notre imaginaire, ses condensations et ses déplacements. « La manière dont on imagine est souvent plus instructive que ce qu'on imagine », disait Bachelard dans sa Psychanalyse du feu. Nous en avons deux. L’une prend ses références dans une oralité hantée par sa propre mort. L’autre dans une littérature hantée par le modèle des œuvres réussissant à donner, par leur universalité et leur intemporalité, une figure à l’éternité.

UN RECUEIL DE CINQ Nouvelles
MELANGEANT REALISME ET FANTASTIQUE 

L’ouvrage développe cinq nouvelles. Je n’ai lu que les deux premières, ce qui n’empêche nullement de dresser un bilan d’étape.

« L’homme qui marche » met en scène un héros bibliothécaire, un professionnel du monde des livres, fasciné par un vagabond qui parcourt inlassablement les routes de Corse, ses deux sacs à la main, n’y écrivant rien d’autre que le labyrinthique point d’interrogation figuré par ses pas, qui ne laissent aucune trace. Homme muet déployant sa vie hors tout discours. Homme visible mais parfaitement illisible, dont l’insignifiance même devient objet d’une obsession, au point de lancer le bibliothécaire sur ses pas. Pour viatique, une édition de poche de l’Illiade et l’Odyssée, qu’il soumet à sa régression orale en en avalant les pages après les avoir lues. Le vagabond semble déployer en grandeur réelle le condensé de sens qu’offre le rituel des processions de la semaine sainte et ses figures de la rédemption : figure corporelle du porteur de croix, et figure scripturale de la Granitola, où les confrères se déploient comme des signes d’écriture sur la ligne en spirale d’un boustrophédon. D’un côté, la victime expiatoire, décentrée, traînant ses chaînes aux pieds. De l’autre le groupe recentré par la spirale, et unifié par sa concaténation processionnelle. La coquille expulsée, et le texte expurgé. Point nodal d’une chorégraphie typographique « d’avant la lettre ». Incorporation de la culture du livre. Le bibliothécaire, lui, tombe à l’envers dans la spirale infernale de l’invidia, la jalousie, en enviant jusqu’à l’extrême la place et les fardeaux de l’illisible vagabond. 

« Misericordia » est écrit dans le ton d’une nouvelle fantastique, qui commence par un enfantement solitaire en pleine nature, dans une sorte d’Eden où l’accouchée puise directement dans les multiples ressources de ses instincts et du maquis les gestes et les ingrédients nécessaires à la mise au monde d’un enfant. Mais, dès le retour parmi les hommes, le tableau initial se fissure, et la tête de la mère aussi, fendue par un coup d’épée. La nouvelle se poursuit, dans une spirale de la violence qui monte crescendo jusqu’à son acmée, dont je ne dirais rien pour ne pas réduire ou dégrader cette nouvelle sanglante en en livrant trop vite le pitch, ou en en livrant trop tôt l’analyse. Plongez-vous dedans, et on en reparlera. Nécessairement.

En attendant, que personne ne me tienne rigueur de ne rien dire des trois autres nouvelles qui suivent. La première n’a pas éteint, bien au contraire, mes raisons de lire. La deuxième ne les a pas, bien au contraire, émoussées. Je poursuivrai la lecture, et je pense même être dépassé par certains d’entre vous…

Pierre-Joseph Ferrali, Fables inachevées,
San Benedetto : Colonna édition, 2011.
Gaston Bachelard, La Psychanalyse du feu,
Paris : Gallimard, 1949. (Coll. NRF idées, p. 54).  

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