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Isularama
27 janvier 2012

Coudre ensemble divers récits du genre des fables

Luciucciu Apuleghju
Luciucciu Apuleghju occupe une place centrale dans la littérature corse d’expression latine. Au IIe siècle de notre ère, elle subit des influences méso-platoniciennes qui, au fil du temps, glisseront insensiblement des quêtes philosophiques et spirituelles à celle de la magie et des superstitions. Le mazzerisme pourrait en être l’ultime prolongement.
En effet, le propre du mazzeru, sorte de shaman corse, n’est-il pas sa faculté médiumnique de quitter les illusions du monde sensible pour s’aventurer de manière fugace et prémonitoire dans le monde des idées pures ?
 


A Metamorfosa
 
Lecteur, pour toi je veux ici coudre ensemble divers récits du genre des fables de Corse. Leur douce musique va chatouiller agréablement tes oreilles ; pour peu qu’elles soient bienveillantes aux paysages de ce pays, et sourdes à ce qui se dit de ses mœurs et de ses gens ; pourvu que ton goût ne répugne pas en général aux gentillesses de la littérature de cette île et, que tu sois sensible en particulier à l’esprit subtil de la rive gauche du Fium’Orbu plutôt qu’à celui de sa rive droite, plus obscure et trop absconse. Lecteur, tu verras mes personnages – Ô merveille ! – tour à tour perdre et reprendre, par l’effet de charmes opposés, la forme et la figure humaine. Auparavant, je commence en me faisant connaître de toi et te délivre comme il se doit quelques mots sur l’auteur, et donc sur moi. Au ponant, le berceau de mon antique lignée est délimité par la cresta Liturale, trouée par la bocca di Sorda. Au couchant, elle est confinée par la ripa Muntagnola traversée par la foce di Verbu. Leurs cimes dominent l’une la garganella di l’Insetta d’où les anguilles remontent vers les aiguilles de Buburlasca, et l’autre le gargastrolu di l’Insuppa d’où les truites descendent vers les multiples ondes noires et profondes de Siccareccia et de Pisticcina. Comme elcetu et licettu1, je m’enracine en cette heureuse région de maquis et de rocailles, si pauvre des dons de la terre, mais si riche des immortels dons du génie ! Là, ma jeunesse curieuse et studieuse a fait ses armes et ses larmes par la conquête du langage cru et du silence dru, l’avers et le revers de notre âme commune, sulia è umbria. Transporté plus tard sur la terre ferme, étranger au milieu de sociétés chaussées et policées, il m’a fallu, sans guide et avec une peine infinie, travailler à coup de bec à me rendre maître de l’idiome des cours d’école, avant d’apprendre aussi à coup de griffes celui des cours des princes et des pontifes. Aussi te demandai-je à l’avance grâce et indulgence pour tout ce qu’un ancien barbare, devenu au mieux un éternel novice, peut porter d’atteintes aux usages et aux goûts. Mais mon sujet étant la science des métamorphoses, n’était-ce pas y entrer convenablement, que de m’être déjà soumis, moi et mon langage, à tant de transformations ? Il n’en demeure pas moins que tout est corse dans mes fables. Donc, lecteur, fais-moi confiance : le plaisir est au bout ! Càmpati !

Luciucciu Apuleghju,
A Metamorphosa,
Corte : Biblioteca Classica Corsicæ, 1999.
(Trad. Ziu Wang Shou-Hsing)

 


L’AUTEUR

Dans toutes les références antiques, l’auteur n’est désigné que par son nom, Apuleghju. Luciucciu n’est que le prénom du principal personnage, à la fois acteur et narrateur de l’histoire.
Ce prénom sera accolé au nom de l’auteur, peu après la fondation de la Bibliothèque de l’Ecole Latine de Sélestat (ca 1452), lorsque s'établit son premier catalogue. On pense qu’il s’agissait de ne pas rompre la systématique de l’index nominum, qui se pliait à l’usage bas-latin.

Cette métamorphose ne stabilisera pas pour autant la manière de désigner l’auteur : elle subira autant de transformations que le texte franchira de siècles et de frontières, le dernier avatar étant Lucky Apple, le héros du dessin animé La ruée vers l’âne (1998).


 


L’ŒUVRE

Après s’être présenté, Lucciucciu entreprend le récit de ses aventures, qui commencent à Calenzana et se terminent à Conca. Le nœud en est sa propre transformation en cochon domestique, sur le plateau du Campotile. Elle lui fait alors redouter plus que tout sa trop probable métamorphose en salsicciu ou figatellu. Hélas ! Elle aura bien lieu, et il ne devra qu’à l’imploration de Vénus, qui s’en amusait, la lente reconstruction de son corps, puis de son âme, autour de sa réduction à l’état d’un simple et unique boudin turgescent.

A Metamorfosa (ou L’Asinu induratu, ou — onoratu, dans la version scolaire expurgée) est le seul texte qui nous soit parvenu, alors que ses contemporains le décrivent comme un auteur autant jalousé pour sa prolixité que pour son succès. 

Il n’est, cependant, pas impossible que les 22 titres recensés, en recoupant les innombrables citations puisées dans des ouvrages faisant par ailleurs référence, ne soient finalement que des métamorphoses de sa Metamorfosa.



NOTARELLA

1. Elcetu et licettu désignent tous deux un espace peuplé de chênes. Pour un méso-platonicien, il allait de soi que dès lors qu’existent deux dénominations disctinctes, c’est qu’il existe de fait deux variétés distinctes de chênes, que les illusions du sens commun nous conduisent abusivement à confondre.

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