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Isularama
15 mars 2013

Gilles Zerlini : l’impossible roman

Mauvaises Nouvelles

Mauvaises nouvelles de Gilles Zerlini offre une autre variation sur le thème de la confrontation de la Corse à sa propre mort.

Après Murtoriu de Marcu Biancarelli, Le Sermon sur la chute de Rome de Jérôme Ferrari et L’Ultimu de Jean-Pierre Santini.

À nouveau, une écriture parfaitement maîtrisée d’où naît une œuvre aussi lisible que dérangeante, « acide et lucide », dit un commentateur.

 

 


Quatrième tableau de la mort, donc, en treize volets. Des emprunts à l’histoire ancienne, aux récits des générations précédentes, à des réminiscences enfantines, aux engagements d’autrefois, et à quelques trames actuelles sur lesquelles tisser, tant bien que mal, les vicissitudes de sa propre existence. Pas dans la perspective des héros surpassant les difficultés de la vie, mais dans celles d’individus ordinaires aspirés dans un vortex qui les broie. D’une seule pièce. Tout ensemble, les bons morceaux et les bas morceaux, les résignations comme les révoltes.

Reste une stupidité générale, au sens premier de paralysie résultant d’un choc profond. Choc né de l’écart grandissant entre Corse mythique et Corse réelle ; entre l’avers et le revers de ses champs de bataille, de ses terres agricoles, de ses espaces urbains, de ses récents sursauts, de son avenir touristique ; de manière plus générale, entre des aspirations nourries de rêves, posées sur des trajectoires individuelles et collectives d’émancipation, soutenues de figures exemplaires et étayées de récits historiques mémorables ; aspirations aujourd’hui anéanties par toutes sortes de désillusions face au spectacle d’un monde déjà post-moderne, sans autre modèles de devenir que la transformation de tout — ressources et déchets — en marchandises offertes à la spéculation, et l’assignation de tous — solvables et malléables — à flotter en toutes choses dans le sens des fluctuations des marchés et des appétits de ceux qui les contrôlent.

« Dégueuler. Vendre. Se taire. » Tel pourrait être alors le mot d’ordre le plus commun, à intérioriser d’urgence pour sauver sa peau en se dépouillant de toute appartenance, de son âme même, et surtout du verbe illusoire qui s’y incruste ou en émane. Ainsi, le recueil se termine-t-il sur trois courtes nouvelles portant chacune pour titre un de ces trois verbes. Des verbes d’action, comme dans tout bon programme de formatage. Dégueuler : « Je n’aurais jamais cru finir ma vie dans un parc d’attraction. » Vendre : « Ne vendez pas votre âme, vous n’en avez plus, contentez-vous de manger leur merde. » Se taire : « Dis, as-tu des enfants ? (…) désormais je ne peux plus parler à mes enfants comme avant, il va falloir se taire devant eux. »

Treize nouvelles. On peut les lire comme des pièces autonomes, construites autour de leurs chutes fracassantes. On peut aussi les lire comme un seul roman qui transgresse allègrement les règles ordinaires de distribution des lieux, des personnages et des actes, et de leur comparution aux épisodes. On y verra, alors, les multiples avatars d’un héros incarnant, au fil des temps historiques, et au hasard de péripéties ressemblant, hélas, à de vraies tranches de vie, les façons diverses et disparates de répéter ce qui n’est jamais qu’une dérive dans les aléas de l’existence. Avec Gilles Zerlini, pas de respiration. Rien qui ressemble, entre deux dérèglements, aux instants d’harmonie entre l’homme et la nature, comme il en subsiste chez Marcu Biancarelli. Rien qui, par père de l’Eglise interposé,  promène l’esprit le long des dogmes clairs, comme chez Jérôme Ferrari. Rien qui rappelle la pureté et la sincérité des hommes qui, naguère, ont pris les armes pour se faire entendre, comme chez Jean-Pierre Santini. Gilles Zerlini est passé au-delà de ces ultimes consolations. Mauvaise nouvelle, pour les derniers romantiques : le roman est mort. Dégueuler. Vendre. Se taire. « Ici bas, mes frères », comme dirait Saint Augustin

[] Xavier Casanova

Saluons, pour sa qualité, la composition de cet ouvrage. Pour l’intérieur comme pour la couverture, elle porte la griffe d’emaginart, le studio graphique ajaccien ou œuvre Eric Cucchi, photographe, graphiste et infographiste. Rappelons le soin constant accordé par Materia Scritta à la présentation de ses ouvrages, qui, à cet égard, se démarquent des mises en livre parfois approximatives d’une fraction non négligeable de la production éditoriale insulaire. La couverture, remarquable et remarquée, montre une évolution de très bon aloi. Les premiers titres du catalogue manifestaient d'entrée de jeu une réelle maîtrise des canons classiques. Cette dernière introduit désormais des audaces visuelles très fortes rappelant celles d’éditeurs tels qu’Actes Sud. Imaginons, donc, dès à présent, un Zerlini sortant un jour sous une couverture dépouillée de toute image, son nom seul étant devenu, au fil des livres et de leurs succès, une accroche suffisante.

Gilles Zerlini, Mauvaises Nouvelles.
Calvi : Materia Scritta, novembre 2012.
128 p. Broché. 210x130. 12,00 €

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Commentaires
M
Ecrivain découvert tout récemment... Excellent, pertinent et impertinent.. Belle écriture... Lire également son dernier roman, la chute...
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