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Isularama
1 novembre 2013

Halloween à Lacanu di Nazzaconi (2)

LACANU DI NAZZACONI

Dans un de nos précédent billet,
on lira avec profit la présentation générale que nous faisons du
Lacanu di Nazzaconi : village typoresque,
de Jean-Félix Cacciamosca.

Aujourd’hui, on s’aborde (On saborde et se saborde ?) en échangeant quelques questions convenues sur comment s’est passé Halloween, ce qui est une manière très ordinaire d’affirmer et de soupeser sa néo-normalité. Dont acte.

Une gande leçon de perplexité.

L’occasion de poursuivre en puisant à nouveau dans le Lacanu di Nazzaconi :


SAVOIR METTRE SOUS LES MOTS LE SENS

Notre paragraphe liminaire (cf supra dans le texte, ie infra dans le blog) plaçait toutes les interprétations dans l’erreur. Toutes ? Il en faut donc plusieurs. Puisque le pluriel commence à deux, il nous suffira d’en débusquer une autre qui soit tout aussi erronée pour conforter la vérité de ce que nous y assertions. Ainsi en est-il, outre la thèse de Jean Chirouble (cf supra dans le texte, ie infra dans le blog), de celle dite à tort d’Antonia Arriti, auteur de sa transcription et non pas de sa construction.

Tandis que la première interprétation procède ex post, à partir d’une forme attestée et consignée dans un acte notarié daté et signé, la seconde procède ex ante, à partir de la forme reproduite et consignée dans le quotidien local unique et incontesté. S’agissant, pour l’essentiel, d’une presse du lendemain, elle rapporte d’ordinaire dans son édition du 2 novembre les faits survenus dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre.

Or, au cours de cette heure tardive et incertaine n’œuvrent plus que les informateurs précaires, pendant que les journalistes en titre et en carte épluchent distraitement leur bulletin de salaire du mois échu, croisent l’info avec leurs relevés de notes de frais, avant de s’endormir ou de rejoindre un lieu branché où ils pensent à juste titre parfaire leur information en participant à une beuverie collective où les notables repentis lâchent, sous l’effet conjoint des bulles et des belles, de sincères confidence sur l’universalité du pouvoir, de savoureuses tirades sur la diversité de son exercice et de pénibles glorification des manipulations qui en résultent.

Antonia Arriti est une praticienne experte du journalisme accessoire et de comblement. Sous une pile de diplômes écrasés par son statut d’aide à domicile, sa survie intellectuelle à Lacanu di Nazzaconi tient à sa capacité à extraire d’un village moribond une moyenne annuelle de vingt lignes hebdomadaires, et à sa pugnacité à obtenir, en y mettant le temps et la hargne qu’il faut, la publication de trois huitièmes de ses papiers dans le trimestre suivant leur rédaction : son nombre d’or, très inférieur à son nombre d’heures.

Il y a cinq ans, elle commettait l’interview d’un lieutenant-colonel creusois qui, ayant épousé une lacanienne, s’est pris de passion pour l’histoire généalogique de sa belle famille et l’histoire onomastique de son village d’adoption. Débordant légèrement le cadre de ses travaux, il s’était attaché à montrer que les coutumes ne naissent jamais de rien, et que s’il en surgit une nouvelle qui s’implante, c’est alors qu’elle en supplante une qui perdure encore, vivace ou vestigiale.

C’est ce qu’il appelait « l’invariant fonctionnel des us lacaniens », en fondant ses certitudes sur les travaux de Dumézil, et en croyant dur comme fer à l’existence d’un peuple mythique indo-européen porteur du schéma primordial partagé par tous les peuples de l’aire européenne. Son existence étant aussi peu avérée que nécessaire à la théorie, il proposa à juste titre de dénommer ce peuple les Skémites (du gr. Skèma, schéma), plutôt que de continuer à les affubler d’un nom sensé avoir été réellement porté par un groupe humain perdu au beau milieu des steppes herbacées d’Anatolie centrale ou des blés de Beauce.

Il y a cinq ans, donc, Antonia Arditti s’entendait dire que le succès immédiat d’Halloween n’avait rien d’étonnant à Lacanu di Nazzaconi, dans la mesure où il ne faisait que réveiller des choses dormant au tréfonds de l’âme lacanienne. De son humble avis, l’officier supérieur affirmait deux choses.

Primo, l’oreille locale ajuste ce qu’elle entend à son propre répertoire phonétique, déformant donc nécessairement la prononciation d’Halloween vers la plus proche approximation disponible : assimilation de l’inconnu au connu chère à Piaget.

Secundo, le connu ne saurait se résumer à ce que l’on énonce puisque tout un chacun dispose d’un vocabulaire interne très étendu dont une part infime est employée en émission, la majeure partie servant à la compréhension. Pour exemple, il vante sa propre capacité à comprendre tout ce qu’il entend dire en « langue seconde », comme dit pudiquement Fusina, alors qu’il n’est capable de s’exprimer qu’en langue première, dominante, officielle, républicaine et souveraine.

Sur cette observation, il a attentivement écouté plusieurs lacaniens dire « Halloween » en faisant l’effort de l’entendre dire très exactement comme s’il était doté d’oreilles autochtones formatées par les structures vernaculaires. S’est alors produit ce qu’il attendait : il a entendu « a lovina ».

Antonia Arriti note alors le raisonnement suivant, qui servira de trame à son article, auquel elle adhère totalement. Halloween est très exactement énoncé et entendu « a lovina », qui s’interprète comme un terme dérivé de « a lovia », la laie ou la truie. Or, « a lovia » est l’assimilation vernaculaire de « al’uf » directement emprunté à l’arabe, tempi fà, sans se substituer pour autant à la racine latine « porc, purc » qui seule a donné lieu à des dérivations telles que « purcinu, purcaia, purcacciu, purcaghjolu, purcellame, etc. » Par ailleurs, au sens figuré, « a lovia », c’est aussi la fille publique, celle qui, à travers ses deux appellations courantes en langue dominante, véhicule le seul vestige portant encore la marque de l’opposition entre cas sujet et cas régime, forme dégradée et simplifiée de la déclinaison latine : « pute » et « putain ».

Au cœur du Moyen Âge, ces cas étaient encore perceptibles. Ainsi est-il fort probable qu’à l’origine, en ces temps reculés encore sensibles à cette opposition, « lovia » ait été à « lovina » ce que « pute » était à « putain ». La valeur grammaticale de cette opposition s’est effacée avec l’abandon des déclinaisons ; ces formes fonctionnant alors comme deux termes synonymes. Au demeurant, dès lors que deux dénominations coexistent, la tendance naturelle est d’accorder à chacune des usages distincts — élégance vs vulgarité, par ex. — ou des sens différents. De plus, la seconde dérivant de la première par une déclinaison décalquée d’une langue autre, elle est inopérante et tend donc à être assimilée à une dérivation ordinaire.

Or, quoi de plus ordinaire que de former à partir d’un mot quelconque un mot dérivé par adjonction de l’expansion adventice : « ina » ? C’est la manière la plus simple de transformer en concept général la propriété générale circonscrite par un adjectif (« seccu » donne ainsi « a sicchina ») ou un nom (« carabu » donne ainsi « a carabina »). De même, « lovia, truie » donne « lovina, truisme » au sens propre, tandis qu’au sens figuré « lovia, pute » donne « lovina » induisant à penser « putasserie ». S’agissant d’un terme attaché au calendrier, qu’il marque d’un jour consacré à une célébration spécifique, ce terme appuie très certainement l’institution d’une forme particulière de putachja festive, si ce n’est, faute de document permettant de l’affirmer, de prostitution sacrée.

Il y a ainsi tout à parier que « a lovina » vienne en fait recouvrir une très ancienne fête archaïque marquant le passage de l’enfance à l’âge adulte, dans le cadre d’un culte voué aux morts, auquel le jeune adulte ne peut s’associer qu’en tuant symboliquement en lui l’enfant qui s'attarde, pour renaître en adulte, prêt à ouvrir pleinement les yeux sur l’avers et le revers de la destinée humaine : le plein accès à la jouissance transitoire d’un corps en fait promis à flétrissure jusqu’au trépas.

Regard adulte porté, par symboles interposés, sur ce qui heurte la pudeur : le sexe et la mort. Deux réalités sur lesquelles on tire le drap dès lors qu’elles surviennent, chacune avec sa violence propre, en place publique, au beau milieu de la vie sociale, dans « l’extimité » où se joue la parade des corps parés et comparés, contre l’intimité des chambres nuptiales et mortuaires.

« A lovina » est la figure transcendant la gens porcine mise à l’engrais en vue de sa transformation en victuailles, destinée à laquelle elle échappe. Comme elle échappe à la racine « porc » et à l’immensité du lexique qu’il engendre. Elle est sanctuarisée par sa racine « lov » qui met en exergue, c’est-à-dire hors charcutage, les deux dynamiques qu’elle insuffle dans une vie sociale par ailleurs abondament nourrie de charcutailles : si elle n’est viande, elle est chair. Elle est même la chair qui découle du verbe, si on veut bien entendre « verbe » comme la traduction de « pneumatos, le souffle de la vie ». Chair nécessaire et assumée : lubrique et féconde, ses deux vertus. La première dynamise l’ontogénèse, la seconde assure la phylogénèse : initiatrice et reproductrice.

* * *

Il y a cinq ans, Antonia Arriti donnait à sa rédaction synthèse de ça, bien avant « i Santi », la Toussaint. En retour, on lui demandait de plutôt transmettre une photo d’enfants d’une école rurale bilingue déguisés en sorcières et diablotins, accueillis en salle des fêtes pour un goûter municipal, à passer dans l’édition du 2 novembre pour l’égayer un peu. Cette année, elle a transmis une photo de sorcières et diablotins élémentaires posant devant la charte de la laïcité. Très belle image. Mais elle est passée à la trappe à cause de sa légende : « Lacanu di Disneyland : petits consommateurs laïques de rituels païens ».


Jean-Félix Cacciamosca,
Lacanu di Nazzaconi : village typoresque,
op. cit.

 

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