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Isularama
21 juillet 2014

Concordia : un scénario à l'ancienne

 

GIGLIO

Devant le convoi des barges, on envoya donc une galère des Hospitaliers de la Sainte Mer, avec mission d’éloigner les marsouins à la crécelle, les baleines au cantique et le mauvais sort à la prière. La chiourme avait déjà ses rames, sa jarre d’eau croupie, son tonnelet de croûtons secs, où on versa un filet d’huile d’olive en récompense des efforts à fournir, dont on rehaussa le goût d’une pincée de belles promesses, assurant les rameurs que quelques salaisons des îles leur seraient données à quai s’ils arrivaient à bon port sans que les barges aient trop dispersé au large leurs poisses, leurs calfats et leurs liqueurs de fond de cale. La coursive fut garnie d’une escouade de carabiniers armés de claquettes, de crécelles et de sifflets de marine. La cabine fut pourvue de quelques palanquins comme les orientaux en dressent sur les chameaux quand, d’une oasis à l’autre, se déplace un de leurs harems, les officiers s’étant mis dans l’idée d’offrir un divertissement naval aux plus chères de leurs filles, de leurs épouses et de leurs maîtresses, dont ils pensaient surtout qu’elle se mêleraient joliment au tintamarre en donnant aux prières leurs répons, aux crécelles leurs caquet, et, s’il fallait jouer de la couleuvrine, au canon leurs cris de joie. Ah ! S’ils avaient pu aussi embarquer cette foule massée sur les grèves du petit port de Gilio, c’est toute ses clameurs et son tumulte, ses vacarmes et sa fanfare, qui eussent été de l’aventure, mettant à la mer un ouragan de bravos et de vivats ! Hélas ! Leur joie se limitait à voir enfin les barges quitter leur rivage. Qu’importe, en effet, à leurs yeux les dangers que d’autres courent si la menace s’écarte d’eux. Peu leur chaut que les courants ordinaires de la mer ligure poussent à la Corse la poix et les poisses. D’ailleurs, en cette affaire, il n’était de bon grabuge que l’esclandre écartant avant tout les orques et les épaulards : il n’est en effet de bonne solennité que celle qui protège du peu, et de belle pompe que celle qui tempère les grandes peurs et les estompe. Dès que le train prit du large, on entonna — dont jamais les couplets ne furent chantés en mer avec autant de ferveur, ni le refrain clamé avec autant d’enthousiasme — le Concordia :

Læti Concordia, baccala per Corsica

Le Roi de France dépêcha un ambassadeur et une corvette sur la mission de suivre la marche de l’armada d’assez près pour mettre à portée de longue vue non seulement sa posture raide et indignée de diplomate tenant ferme le bastingage, mais surtout son visage constipé, aux fin qu’on puisse, de l’escadre, lire sur ses lèvres sa moue. À la jumelle, depuis le Palais Cardo dominant Bastia, comme il tournait le dos à la Corse, il n’y avait rien d’autre à lire de l’ambassadeur que son cul. Ce que l’on savait parfaitement faire de gens ayant tant de fois tourné dos et casaque. « Tiens ! dit-on, encore un émissaire que l’on mène en bateau. »

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