Aléria : facultatif, sans toilettes
« Pauvre et lointaine, la Corse a longtemps été tenue en marge de la France, à laquelle elle n’a pas moins donné le plus illustre de ses représentants en la personne de Napoléon. Au XIXe siècle, elle était surtout connue pour abriter de farouches bandits d’honneur. Prosper Mérimée leur donne leurs lettres de noblesse avec ses nouvelles Colomba et Matteo Falcone. » Ainsi parle hérodote.net, un site offrant « toute l’histoire en un clic », comme le dit si bien mon très cher ami Slogan Baseline. J’ad-ho-ho-ho-re !
Ami lecteur, tu sais maintenant qu’hérodote.net a braqué son projecteur sur l’île et va te parler de la Corse, « une île aussi tourmentée que belle », comme le dit le titre en sa manière de réduire les problématiques historiques à leur plus simple expression touristique.
Maintenant que tu sais ça, hérodote.net, toujours en guise d’introduction, te dit qu’en 1975, il y a eu à Aleria une fusillade meurtrière suivie d’une longue période de crise. Ce qui permet d’ouvrir au soulagement ses vannes et de laisser s’épancher, sur les neurones meurtris et troublés, comme un baume cicatrisant et apaisant, cette phrase sublime et sereine : « L’île aujourd’hui apaisée redécouvre avec sérénité sa longue histoire, aussi belle que ses paysage. » Tain ! Zeus !
Si t’es du type aîné rural faisant pépère son rami en attendant septembre pour un tour de Corse en car troisième âge, tu tapes sur le bras de ta voisine et tu la calmes : « L’étape à Aléria, c’est pour les curieuses fouilles, pas pour les… » Elle te comprends au quart de tour. (Les vieillards ont de ces complicités !) Elle pose une main sur ta bouche et un index en travers de ses lèvres : « Ne me fais pas peur, j’ai le cœur fragile. »
— Oui ! Il y a eu une fusillade, mais c’est passé fini réglé. — Oui, meurtrière. — Non, j’ai juste lu « meurtrière », mais ils ne disent pas combien de morts et d’ambulances. — Non, j’ai bien lu « fusillade », ça n’a rien à voir avec le sac du champ de fouilles par les vandales. — Non, pas le sac poubelle. — Si on s’arrête ? — Faudra voir : sur le dépliant c’est arrêt facultatif avec entre parenthèse attention pas de toilettes.
Ami lecteur, ce que tu ne sais pas encore, c’est que Guy et Monique ont eu Sophie, la petite dernière, le 21 août 1975, donc ils étaient pas là quand les archives de l’INA ont montré, ce jour là, l’original aux informations de huit heures.
Ami lecteur, ce que tu sais encore moins, c’est qu’ils demanderont au chauffeur de faire la halte facultative sans toilettes. — Pas de souci.
Ami lecteur, fais maintenant l’effort de t’imaginer Guy et Monique se préparant à passer de car à cour, c’est-à-dire de clim à gril, rabattant leurs solaires sur leur nez, attendant en se tenant la main que la porte du car soit grand ouverte sur la fournaise pour descendre voir la fusillade d’Aleria.
Ami lecteur, je sais que tu me reproches déjà de pousser l’imagination trop loin, mais écoute encore un peu. Un tout petit peu. Guy et Monique se sont avancés seuls sur une esplanade déserte, poussiéreuse et surchauffée, marchant en silence vers cette petite bâtisse dont le guide disait « certes, ce n’est pas Fort Alamo… ». À mi distance ils se sont retournés vers le car, faisant un petit signe de main adressé collectivement à tous les visages agglutinés derrière les vitres, et à tous les regards tendus — un mélange d’envie, de crainte et d’admiration — vers ce couple extraordinaire osant s’aventurer dans le facultatif. Curieux, n’est-ce pas ? Surtout sans scaphandre.
Ami lecteur, garde-moi, je t’en supplie, encore quelques bribes de curiosité. Ils en ont assez vu, puisqu’ils savent désormais qu’il y a très peu à voir. Ils en ont assez pris, puisque Monique a fait un selfie où il sourit quand elle grimace, en occultant totalement par ces pitreries — par ailleurs saluées comme des signes d’éternelle jeunesse — la stèle, son marbre et ses inscriptions. Assez vu et assez pris, certes. Et après, qu’ont-ils appris ?
Ami lecteur, pardonne-moi de t’avoir piégé par ma question. Hélas, bien piètre réponse : ils n’ont rien appris. Quoique cet état soit sur le point d’évoluer. Ils vont, en effet, rejoindre leur siège sur lequel ils ont abandonné le magazine Isularêve, qu’ils lisaient ensemble épaule contre épaule. Il est resté ouvert à la rubrique « VIEILLES UNES » où la rédaction reproduit, à chaque nouveau numéro, la première page d’un support de presse d’autrefois ayant fait jadis sa une de l’actualité corse de Corse. Le numéro d’août offre ainsi, pour ouvrir son dossier central, la reproduction en facsimile d’une première page du Petit Journal : supplément illustré, illustrant à merveille (cf infra) le thème du dossier :
Isularêve : grand dossier central
CORSE : REDDITIONS CELEBRES
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