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Isularama
23 septembre 2015

Mobiliser contre la fachosphère (2)

DIOGENE VIGNETTE

Jean-Pierre Santini appelle les écrivains et artistes corses à se rassembler le 10 octobre 2015 à partir de 15h00 à l'hôtel Ostella pour riposter au « climat de suspicion, de peur et de haine » répandu par la fachosphère. À cette démarche, j’apporte la contribution suivante, étayée de trois citations de Nietzsche. Elle vient compléter le billet que j’ai déjà versé au débat.

  • « Quelle ne sera pas la répugnance des générations futures quand elles auront à s’occuper de l’héritage de cette période où ce n’étaient pas les hommes vivants qui gouvernaient, mais des semblants d’hommes, interprètes de l’opinion. » (Nietzsche, Considérations inactuelles)

Quelle ne devrait pas être notre répugnance à voir, aujourd’hui, comment et combien l’opinion mûrit ou pourrit en se bombardant elle-même à jet continu de petits blasts remuant ses émotions à partir de simples allusions concentrées dans les 140 caractères d’un tweet ?

Quelle ne devrait pas être notre répugnance à voir, dès lors, combien cette contention du discours, et son insertion dans des protocoles dont le format vient de haut et nous échappe totalement, transforme les hommes vivants et leur parole vivante en semblant d’homme et semblant de débat ?

Quelle ne devrait pas être notre répugnance à voir, surtout, comment se forme sous nos yeux de nouvelles cléricature, spécialistes des coups tordus que permettent d’imaginer la contention et la fragmentation du discours collectif, et la captation permanente de l’attention au moyen de shunks qui la saturent, où l’émotion fait loi, où les huées et les vivats font sens, où la duplication et la propagation déploie son propre régime de vérité ?

Alors, se dresser contre le mensonge des uns, c’est bien. Encore faudrait-il le faire autrement qu’en croisant le fer dans la machine à mensonge elle-même. Il n’est de poches de résistance qui vaillent que celles qui se construisent ailleurs et autrement, hors maelstrom et hors mainstream.

  • « La morale des esclaves a toujours et avant tout besoin, pour prendre naissance, d’un monde opposé et extérieur : il lui faut, pour parler physiologiquement, des stimulants extérieurs pour agir ; son action est foncièrement une réaction. » ( Nietzsche, Généalogie de la morale)

Ah ! Qu’il est facile et confortable de se voir, se penser et s’afficher en révolutionnaire parce qu’on montre du doigt le réactionnaire ! Ou en démocrate parce qu’on stigmatise le fasciste. Ah ! Qu’il est aisé de mobiliser en montrant le monstre ! Exagérer la peur qu’il suscite accélère, certes, le rassemblement. Mais n’est-ce pas, aussi, accélérer sa marche à lui, qui avance par la peur, voire la terreur ? N’est-ce pas prendre pour antidote le poison ? Si nous savions nous diriger nous-mêmes – et si nous pouvions encore nous y exercer –, nous continuerions à le faire, et c’est assez s’occuper l’esprit que de perpétuer la volonté d’y réussir. Et si nous y réussissions, nous montrerions alors du doigt la menace extérieure pour nous en gausser.

La fachosphère existe bien. Mais si elle est aujourd’hui une menace, c’est parce que d’autres forces plus insidieuses, mal identifiées et plus difficile à combattre ont désagrégé, jusqu’au vide politique, ce qui nous permettait, avec plus ou moins de bonheur, de nous diriger nous même.

C’est ce vide politique qui cherche à se perpétuer, pour certains en excitant la « bête immonde » et agitant son spectre, pour détourner l’opinion de la peur du vide ; d’autres en la caressant dans le sens du poil, sûrs de la domestiquer en chien de garde par le jeu de forces insidieuses capables d’obtenir un vide encore plus poussé. Mêmes objectifs, même mode de gouvernance, simple variation des styles. Le pouvoir est déjà ailleurs. Confisqué.

Ah ! Tu crois que je regarde en haut, lorsque je parle de confiscation ! Oh que non ! La chaine des délégations est longue et je ne vois que les derniers maillons. Surtout le dernier, son mousqueton, sa muselière et son collier. Et je vois qui me le présente, entre qui s’étonne, qui supplie et qui menace. Alors vient ce qu’aucun de ceux-là ne peut entendre :

  • « Des compagnons, voilà ce que cherche le créateur et non des cadavres, des troupeaux ou des croyants. Des créateurs comme lui, voilà ce que cherche le créateur, de ceux qui inscrivent des valeurs nouvelles sur des tables nouvelles. » (Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra)

Fasse le ciel que le 10 octobre, à l’Hôtel Ostella, s’assemblent des compagnons. Qu’ils réveillent les somnolents est une bonne chose. Mais qu’ils n’oublient pas, dans cette tâche, ceux qui veillent de longue date à opposer un « No pasaran » à toutes sortes de manifestations rampantes du fascisme, telles qu’elles surgissent sur le terrain où ils agissent. Chercher les anticorps secrétés dans leurs actes quotidiens et leur exposition répétée aux contagieux, plutôt qu’un antidote dont la formule fantasmée protègerait le corps social tout entier de la gangrène.

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