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Isularama
23 décembre 2016

Oïkos, un polar attique et atypique

COUV OÏKOS MOSAIC

Oïkos est le cinquième polar versé par Jean-Louis Tourné à la Nera d’Albiana [•], une collection née en 2004 et s’approchant désormais de la quarantaine de titres. Comme dans L’Or est un poison, l’intrigue a pour cadre la Grèce, et remet en scène le même narrateur et son acolyte, Ploutarchos. À leur côté, apparaît Aphrodite, une jeune et belle chanteuse. Ce trio, éperdument complice et amoureux, entre en scène, marchant vers une maison, un manoir, un oïkos, vers lequel ils se dirigent en prestataires de services.

Cet oïkos est un univers à part, féodal et suffisant, où le palais vit des rentes tirées sur son domaine, sur ses dépendances et sur sa cohorte de serviteurs. Cet oïkos est aussi un théâtre immense et sans gradins où gens du même monde s’offrent aux uns aux autres de somptueuses réceptions, où se donne sans réserve le spectacle outrecuidant de leur toute puissance, de leur capacité à vivre comme des dieux, au dessus des contingences ordinaires des simples mortels.

Cet oïkos prend la parole, dit et répète : « Je suis la maison. Je suis celle que chacun convoite. » Au début du livre, de brefs chapitres interrompent ainsi le fil du récit pour évoquer sur un autre ton – lyrique, sibyllin et tourmenté – ce que chacun a sur le cœur, plus haut ou plus profond que les péripéties qui s’accumulent à la surface des choses. À travers l’enquête, la narration va bien les réduire à un ordre logique : des causes et des effets, des crimes et des coupables. Saurait-elle en dévider le fil dramatique ? Un fil infiniment plus long, plus durable et plus coriace que les petits segments disséqués par la raison : la convoitise. Sempiternelle. Insatiable. Vampirique.

Le trio apaise cette source de discorde en partageant entre eux affection et plaisir. Le monde clinquant dans lequel ils pénètrent l’exacerbe en appétits sans limites et rivalités sans mesures. Les trois amoureux projettent sur ce monde leurs regards saltimbanques et désabusés d’artistes et de fonctionnaires, membres d’une classe moyenne impuissante à opposer à cette démesure un juste milieu fondé sur les harmonies de l’art, les rigueurs de la raison et la vérité des sentiments.

Plus que la maison, l’oïkos désignait jadis la maisonnée, le lieu où des individus se groupent pour produire, accumuler et partager les ressources d’un domaine. L’oïkonomia désignait alors – avant de se dévoyer en doxa frelatée – l’art de gérer cet ensemble de biens et de personnes, d’y faire naître, entre les rivalités, un juste milieu, un intérêt commun. « Mais, déjà, ce n’est plus notre histoire. Notre histoire à nous, recommence avec ses nuits douces et ses caresses. » Repli sur cet improbable équilibre entre les doubles – Ploutarchos et le narrateur – dont Aphrodite est le fléau.

Ça se lit comme un bon polar, mais les ficelles du genre y déroulent une pelote aux parfums de tragédie antique, comme s’il était aujourd’hui suicidaire d’évoquer ouvertement les puanteurs glaçantes du présent. Cristallin, donc, mais biréfringent. Dà leghje !

[] Xavier Casanova

Broché, 144 pages, 14,00 €
ISBN 9782824107370


[•]
Du même auteur, dans la même collection : 
– L’or est un poison, 2013.
– Jeux de vilains, 2010.
– Noire Formose, 2009.
– Les saints et les morts
, 2008.

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