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Isularama
27 novembre 2019

Ghisoni : le Kyrie dans tous ses états

Réparer l’injustice des siècles

KYRIE PTOLEMEE

Pour devancer la demande expresse et insistante de certains membres très influents de la communauté ghisonaise, le Kyrie a été réintroduit sur la carte de Ptolémée, en prévision de son éventuelle réimpression en fake simile. L’original de la carte corrigée est désormais précieusement conservé à la Biblioteca Gattonensis, en ses disques durs. Seul fait foi, dorénavant, cet authentique apocryphe numérisé, révisé et amendé. L’injustice des siècles est ainsi réparée. L’opération, conduite en plaine orientale et pleine conscience, a été exécutée par le FXStudio de La Gare* sous la direction de Jean-Félix Cacciamosca. À la date où nous rédigeons, le processus de validation du résultat par les multiples sociétés savantes de la Pieve di u Castellu est en toujours cours. Il prendra « un certain temps** ».

* Antenne graphique spécialisée à qui Isularama confie régulièrement la création de ses visuels hyperview AVC (augmented viewing capabilities), véritables écoglyphes à impact carbone maîtrisés, et vrais socioglyphes parfaitement ciblés ITT (impact tribal total).

** Fernand Raynaud, « Le fût du canon ». Années 50. – Le grand humoriste des Trente Glorieuses a fait mieux que Ptolémée en citant au moins Ghisoni, sinon le Kyrie, dans ce sketch, un des plus célèbres de son répertoire. – Source : Bnf / Gallica / Collection sonore.


Révéler les emplois occultés

KYRIE TOUS ETATS

Ici-même*, validant la conjecture Peraldi**, nous avons montré et démontré que les aiguilles granitiques (faciès protoginisé) dominant le village de Ghisoni figurent bien sur La Vierge, l’enfant et Sainte Anne (ci-dessus, [1]). Allant plus loin, nous avons asserté qu’on les retrouve dans La Dame à l’hermine, mais dissimulées sous un repeint noir (ci-dessus, [2]).

Ces deux tableaux sont attribués à Leonardo da Vinci. Mais, comme toujours, l’histoire n’a pas retenu le nom de toutes les petites mains ayant travaillé dans l’atelier du maître, sous sa coupe et sous sa griffe. Elle n’a pas davantage retenu le toponyme des lieux ayant servi de modèle, ou tout au moins de source d’inspiration. Ainsi, aucun des nombreux traités savants ne cite ni le nom de Francesco Mucchiello, ni celui des aiguilles granitiques (faciès protoginisé) qu’il était assigné, selon sa spécialité, à représenter de mémoire sur les tableaux ou les fresques d’un autre. Si l’histoire de l’art a consacré toute son énergie à donner un nom aux innombrables maîtresses de princes ayant servi de modèle aux compositions religieuses ou de sujet aux collections de portraits, elle a laissé dans l’ombre et l’ignorance les cimes et les rocs d’arrière-plan, fussent-ils aussi remarquables – et répétés de manière virale dans l’iconographie de la Renaissance – que ce « Kyrie » de Ghisoni.

* À propos de [1]cf « Ghisoni au cœur d’un tableau de Leonardo da Vinci ». À propos de [2], cf « Ghisoni au cœur d’un autre tableau de Leonardo da Vinci ».

** Conjecture due au docteur Patrick Magro Peraldi, retenue sous le nom de conjecture Peraldi (abrév. : Conj. Peraldi Q.V. du Dr). 


Signaler les usages abusifs

Au temps de Ptolémée, puis à l’époque des premières éditions imprimées de sa cartographie, l’état des connaissances est encore loin des bouleversements introduits par les multiples sociétés savantes nées au pied des aiguille granitiques (faciès protoginisé) dominant le village de Ghisoni. Vu l’ancienneté des faits, et eu égard au principe de prescription, il serait mal venu et maladroit de tenir grief à quiconque d’une quelconque imprécision.

Au temps de Leonardo da Vinci, le grief se précise. Les grands prédateurs du siècle accumulent les fortunes en s’offrant les services de bandes mercenaires employées à défendre leurs acquisitions, à multiplier leurs perquisitions et à installer leurs inquisitions. Sauf malchance totale et fatale, leurs excès de violence conduisent à leurs excédents de richesse*. Ces surplus sont sitôt convoités par d’autres mercenaires – mercenaires de paix, cette fois – que sont les peintres, les sculpteurs et les architectes de cour. Ces derniers ne recrutent pas, sous leur nom, des compagnies de soldats sans foi ni loi, mais des escouades de petites mains maniant le pinceau, le ciseau et la truelle avec autant d’habileté que d’autres manœuvrent le stylet, la hallebarde et l’arquebuse. Ainsi la guerre et l’art sont-ils, l’une comme l’autre, la continuation de la politique par d’autres moyens ; la politique n’étant, au demeurant, que l’art de concentrer entre ses mains la puissance, et, pour se faire bien voir, d’en donner des images grandioses et magnifiques forçant l’admiration. Que s’agenouillent donc ensemble devant les chefs d’œuvres les vainqueurs et les rescapés des estocades, des arquebusades et des canonnades ! Qu’au temps des embuscades et des cavalcades succède ainsi celui des pochades et des foucades ! Ch’ellu sia cusì.

Voici venu l’ère de la consommation. Son arme est la « réclame ». Ses munitions, les mots. Leur figure, le néologisme. Sa recette, le radical “radical”, préfixe ou suffixe. Accolés à des vocables ordinaires, ils en réforment de manière « disruptive » la valeur, la saveur et l’emploi. Ah ! Vous n’aimez pas le flic ? Si vous vous souciez de la planète, passez donc à l’écoflic. Si vous vous préoccupez de vos intestins, adoptez plutôt le bioflic. Dans ce monde où le faux semblant fait loi, le Kyrie perd sa forme et sa localisation. Totalement décontextualisé, il n’est plus rien d’autre qu’une particule réparatrice, une molécule thérapeutique, un cataplasme sur une langue de bois. 

Nous retiendrons trois exemples éclairants (cf, ci-dessous) illustrant l’usage contemporain du radical « kyrie » :

KYRIE EMPLOIS

Le premier exemple (en haut, à gauche) est puisé dans la production cinématographique récente. La racine « val » renvoie à l’expression liturgique dont elle est extraite : in hac lacrimarum valle, dans cette vallée de larmes. Jugée pleurnicharde et peu vendeuse, elle a été complétée pour former « valkyrie », qui évoque un vallon au pied des aiguilles granitiques (faciès protoginisé), lieu unique où s’acquiert la « Sublime Perception** ».

Le deuxième exemple (en haut, à droite), plus ancien dans la chronologie de la société du spectacle, a été publié dans les années qui ont immédiatement suivi l’armistice de la Première Guerre Mondiale. Les chansonniers traitent alors à leur manière – drolatique et irrévérencieuse – le syndrome du SPT (stress post traumatique) qui touche l’Europe entière. Parler de suicide collectif n’est pas recevable : les gueules cassées feraient la grimace. Le librettiste osera parler de boucherie, mais de manière indirecte : il évoque une unité spéciale chargée de l’approvisionnement du front en viande fraiche. À chacun des spectateurs, selon son intime perspective, d’entendre par là s’il s’agit de ravitailler les troupes en viande fraiche ou de regarnir les tranchées en troupes fraiches. Le discours à double sens est une mécanique bien huilée chez les amuseurs publics de tous temps, Shakespeare compris. Mais il y a des ressorts plus subtils. Le mot « wach », germanique, est empruntée à la langue de l’ennemi d’hier. Signe de réconciliation ou prise de guerre ? Ce « wach » se traduit par « éveillé ». Est éveillé qui a les yeux ouverts. Ouverts face au « Kyrie » et prêts à en recevoir la « Sublime Perception ». Cqfd, mdr.

Le troisième exemple (en bas), n’a qu’une portée limitée et très anecdotique. Un fromager insulaire expose sa production au Salon de l’Agriculture. Passe un sénateur pompidolien de la France profonde, déplaçant d’un stand à l’autre ses questions de connivence, insipides et attendues. Elles lui donnent l’air de s’intéresser à la paysannerie. Montrant le Kyrie figurant sur une affiche : « Elle broutent là ? – Iè ! – Ah ! La vache ! » La tirade a été rapportée par la PQR (presse quotidienne régionale). Devenue virale en milieu rural, elle a donné lieu à d’infinies variations exploitant les innombrables manières d’interpréter, jusqu’aux plus improbables, l’association oxymorique de la vache et du Kyrie. Ci-dessus un projet récent de sticker et de flyer pour un spectacle de rue orchestré par les réseaux sociaux dont le clou eût été un lâcher de vaches errantes le jour du veau. Reportée d’année en année faute d’autorisation préfectorale rédigée dans des termes acceptables, cette manifestation n’a jamais eu lieu. Le visuel a cependant été retenu pour décorer une série limitée de boîtes de canistrelli en fer blanc et de sets de table antidérapants en silicone.

*   Et vice versa.

** Cf « Ghisoni au cœur d’un autre tableau de Leonardo da Vinci », op. cit.

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