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Isularama
13 février 2021

Jean-Pierre Santini / Fresnes résidence d’écrivain

[0] FRESNES BLOG

Arrêté le 6 octobre 2020, Jean-Pierre Santini a été incarcéré à Fresnes le 12 octobre. Le 10 décembre, sa détention préventive a été commuée en résidence surveillée. Dès janvier 2021, je recevais les quatre manuscrits rédigés par lui au cours de son incarcération. 

Sa détention préventive, puis sa mise en résidence surveillée reposent sur une accusation à contour flou et géométrie variable – complicité « par instigation » –, dans une affaire ayant mis en branle la grosse machinerie de lutte contre le terrorisme. Il arrive ainsi que ce qui, pour le peuple, n’est que carnaval soit lu, par le Prince ou ses préposés, comme une sédition, ce qui démontre que le besoin de sédition peut parfois venir de haut. Les faits générateurs n’ont, en effet, provoqué aucune terreur dans la population, mais un accès de fureur policière chez les spécialistes de la lutte contre les vrais furieux, loups solitaires ou brigades armées. Qui sont les « instigateurs » de cette fureur, et peut-être même les seuls à être furieux ? Y répondre serait une digression politique, quand les finalités de notre billet sont strictement littéraires. On sait, simplement, que faute de proie à la hauteur de sa musculature, le lion peut décharger son agressivité sur une musaraigne. Simple comportement de précaution visant à entretenir la puissance qu’il s’attribue, les plaisirs qu’il en tire et la survie qu’il en espère. Bref, il veut y croire.

Au cours de nos humanités, nous avons tous intégré le système isostatique de la tragédie classique : l’unité de temps, d’espace et d’action.  Ici, cette triple unité est créée non pas en portant au théâtre un drame, mais en clôturant le temps à coup de procédures, en réduisant l’espace aux quatre murs d’une cellule, et en délimitant le drame à la nécessité de répondre d’une histoire écrite à charge dans une récollection de procès verbaux dont la synthèse finale balancera, le jour venu, entre acquittement et condamnation. Le prévenu n’est pas accusé d’avoir, usant de son autorité, décrété l’insurrection. Mais d’avoir écrit des choses qui, lues en diagonale, mal interprétées et grossièrement déformées, sont susceptibles d’avoir engendré un acte répréhensible quoique plutôt dérisoire. La chaine interprétative a déraillé dans la lecture des faits. Voici qu’elle déraille dans leur interprétation, voire la glose de leurs commentaires. Il arrive parfois que l’interprétation abusive se niche déjà dans la question posée. Y a-t-il eu fornication ? demande l’inquisiteur aux jeunes amants, par exemple. Y a-t-il eu association de malfaiteurs ? N’est-ce point du terrorisme ? En acte ou en puissance ? Du séparatisme ? Etc. Plus le terme est pesant, plus est implacable la machine qui le débusque, fusse à l’état de trace, fusse même dans des mots d’enfants.

Par le jeu de diverses ficelles, longues et courtes que, par commodité, nous appellerons « destin », Jean-Pierre Santini va être pris dans un coup de filet et mis en prison pour un jugement ultérieur, comme on met en congélation un poisson qui ne sera cuisiné que plus tard. Quatre manuscrits vont se créer au cours de cette expérience singulière d’embarquement de force pour une croisière immobile à durée indéterminée : annulation administrative de l’usage de l’espace et de l’emploi du temps.

Présentation
Des « écrits sous écrou »

Le premier manuscrit serait un journal de bord s’il s’agissait d’une course au large. Pour un séjour à l’étroit, on l’appellera plutôt « Main-courante ». Il note la chronique des heures et des jours qui s’écoulent. Elles sont ponctuées par les repas rituels servis au gréviste de la faim. Elles sont rythmées par une cascade d’ouvertures et de fermetures : les portes et les cahiers d’écriture, les espoirs et les désespoirs. 

Le second est une sorte de carnet de voyage où sont restituées de mémoire des saynètes typique où chacun raconte la sienne. Sitôt projetées, elles sont commentées par les « Personnages » qui les ont vécues, livrant alors, en aparté, quelques pensées où ils se dévoilent eux-mêmes ou décryptent le jeu des autres. En scène, la représentation de soi dans le dialogue avec les autres. En coulisse, les retours réflexifs sur la partie qui vient de se jouer. 

Le troisième est un libelle où l’auteur, soumis aux contentions d’une « institution totale », faute de pouvoir prendre du recul ou de l’avance, prend de la hauteur. Ce texte confronte, dans une « Controverse », deux visions de la justice : celle du maître d’école en quête d’émancipation des esprits, et celle du juge distribuant ses contraintes par corps. Quoi de fondamentalement commun ou de radicalement différent entre instruire une affaire passée et instruire des hommes en devenir ? Jean-Pierre Santini a en main les Pensées sur la justice de Blaise Pascal, offertes par son avocate. C’est son échelle de Jacob. Il l’agrippe et y grimpe.

Le quatrième est le livret d’un oratorio polyphonique où Jean-Pierre Santini improvise sur les textes de soutien déposés sur le Decameron 2020. Cette revue en ligne créée par les éditions Albiana a, en effet, ouvert une rubrique « écrire pour JP Santini ». Sitôt inaugurée, elle a immédiatement été abondée par plusieurs dizaines de poètes et prosateurs. In fine, le nombre de semblables ainsi rassemblés autour du même crée sa propre transcendance, et l’oratorio emprunte son titre à la lingua sacra, évoquant les « Stantare », ces mégalithes dressées aux quatre coins de la Corse, vestiges d’un peuple disparu.

Les trois premiers manuscrits sont réunis dans « Fresnes résidence d’écrivain : main-courante, personnages, controverse ». La souscription à cet ouvrage est ouverte depuis le 22 février, espérant une sortie au printemps. Le quatrième manuscrit – « Stantare résistances d’écrivains : oratorio » — est une œuvre collective adjacente. Elle réunit autour de Jean-Pierre Santini les 62 « poètes et prosateurs » ayant écrit pour lui au cours de sa détention. Sous peu, cet ouvrage sera à son tour proposé en souscription.

FRESNES STANTARE BLOG

[] Xavier Casanova / février 2021

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