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Isularama
7 août 2011

Appels de détresse

CRIQUEDANS QUELQUES JOURS, des vacanciers baignant dans le soleil généreux  de la Cala di Sensu et ses fraîches brises marines, entendront des appels de détresse, dresseront la tête, relèveront leur bob en cotonnade blanche sous lequel ils ressassaient un par un, les yeux mi-clos,  la liste des curiosités leur restant à découvrir, traçant mentalement le programme hésitant de leurs dernières journées d’avant le retour. Mais, allongés au raz du sol sur leurs draps de bains saturés de couleurs vives, éblouis par la lumière crue du soleil matinal, assourdis par le ressac incessant des vagues léchant le sable blanc, étourdis par les stridulations continues des cigales sorties de leur période larvaire, et embrouillés par toutes les illusions acoustiques naissant du frémissement des herbes sèches au passage sporadique des bouffées de vent tiède, ils ne parviendront que très lentement à discerner, parmi les baigneurs, le cercle qui se resserre autour d’une femme jeune et assez corpulente, agitant ses avant bas au dessus de sa tête, avant de plonger et replonger avec une sorte de frénésie désespérée laissant craindre le pire. À cet endroit de la crique ouverte vers le large, où la houle entrante forme ses rouleaux, ils verront alors quatre hommes tenant par ses quatre membres le corps mou et désarticulé d’une adolescente, tandis qu’un cinquième marchera à reculons les deux mains sous sa nuque, titubera au franchissement de la banquette de posidonies déposées par les tempêtes de l’hiver, s’affalera sur un banc de sable, la tête de la noyée sur ses cuisses, épuisé, désemparé. Une grappe humaine se formera en ce point où se concentreront en quelques minutes toutes les bonnes volontés et toutes les pires curiosités, brisant la distribution ordinaire des groupuscules étalés le long du rivage, dont il ne restera que la trace, marquée par l’alignement imprécis des parasols plantés à six pas les uns des autres, sous lesquels ne s’attarderont plus que quelques mères encombrées d’enfants en bas âge, qu’elles installeront à califourchon sur leur hanche pour s’approcher elles aussi de l’attroupement, qu’elles contourneront en se dandinant à pas lent, cherchant une ouverture où passer le regard, tout en plaquant le front des bébés contre leurs clavicules, leur interdisant ainsi, provisoirement, de découvrir le monde à contre-sens, par dessus leurs épaules. Le lendemain, le journal local rendra un vibrant hommage au sang froid des vacanciers, mettra en avant les initiatives heureuses et pertinentes d’un pompier local au repos, saluera la rapidité de l’évacuation vers l’antenne médicale la plus proche, approuvera la mise en observation d’office en milieu hospitalier, rapportera l’absence de pronostic vital, refermera la page sur la formule « plus de peur que de mal » et rouvrira la plage en rappelant, sans en énoncer aucune, l’importance des règles élémentaires de prudence. Le lendemain, la houle sera plus vive, les rouleaux plus francs, les jeux plus intenses, les infortunes plus dramatiques. La prose du surlendemain sera donc plus ferme, parlant, si nécessaire, de « lourd tribut ». Voire de « triste bilan ». 

[] Xavier Casanova

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