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Isularama
17 juillet 2013

Statistiques macabres contre statistiques piteuses

 CHEVRE EN CORSE

Comme on le sait bien, il est de bon ton que chaque support de presse sorte son propre papier sur l’exception corse, et la manière dont l’île crève la macabre statistique de l’assassinat et de sa tentative, tout comme la piteuse statistique des affaires non résolues.

Au début de l’été, il est même habituel de sortir un numéro spécial permettant aux arrivants, durant le vol ou la traversée, d’en réviser la liste : ça donne au séjour un petit piquant exotique, et quelques certitudes qui permettront de constater que le personnel hôtelier d’importation est de toute évidence passé par une formation accélérée à l’omerta, qui lui a appris à déjouer les questions embarrassantes, en imitant à la perfection les accents d’Europe du Sud-Est, en prétendant même appartenir à un peuple européen, qui revendique sa singularité avec d’autant plus de force qu’il est disséminé sur plusieurs états sans être vraiment reconnu par aucun. Les Aroumains, en effet, n’ont pas la chance de vivre, comme les Corses, sur un territoire parfaitement défini par une bordure côtière, ce qui est bien plus confortable que de se projeter sur une aire linguistique diffuse chevauchant, entre autres pays, la Roumanie, l’Albanie, la Grèce et la Macédoine. Bref. Ça ne sait rien, mais ça envie la situation limpide des Corses, et ça compatit au peu d’avantages qu’ils en tirent, sous la férule d’une république coincée, passant désormais en boucle la Marseillaise dans ses écoles, entre les leçons de morale interplanétaire et de bio-civisme bobo.

Ceci dit, revenons à notre propos : les statistique macabres et les statistiques piteuses. La statistique, ça se fait en comptant, par exemple, les pendus et en les rapportant à un autre truc qui se compte, par exemple les secondes pour avoir une idée de la fréquence ; les hectares pour avoir une idée du rendement ; ou la population pour avoir une idée de la létalité, qui, en fait, n’a de sens que si on précise s’il s’agit de celle des arbres ou des potences, des cages d’escalier ou des jardins d’agrément, des ceinture ou des ficelles, etc. Au final, cette accumulation de statistiques est assez opaque et ne prend son sens qu’à travers le commentaire nécessaire du pendologue de service, accoutumé à chiffrer et déchiffrer le phénomène particulier de la PLV, ou pendaison létale volontaire. À quoi ça sert ? À orienter l’opinion vers l’utilité marginale du fait. Il est peut être bon, à un moment donné, de stigmatiser les fabricants de ceintures, les propriétaires de terrains vagues, les jardiniers paysagistes, les constructeurs d’escalier, les défenseurs des arbres, les dérouleurs de ficelle, les exploitants de potences, etc., en laissant entendre qu’ils portent nécessairement leur part de responsabilité dans la PLV. Il est peut-être bon, à un autre moment, de saluer le courage et la détermination avec lesquels tel homme politique aborde la question des disparités régionales relatives à la PLV, en proposant des mesures correctives visant à rapprocher les taux locaux de pendaison des normes européennes. Le même courage peut, au besoin, s’employer à stigmatiser telle ou telle portion circonscrite du territoire en reprochant collectivement à ceux qui l’occupent d’altérer profondément la statistique nationale par leurs résultats horriblement médiocres, en menaçant de les exclure de cette statistique, sans pour autant les libérer de la domination de ceux qui usent et abusent des chiffres.

On aura compris que cette digression pédagogique n’a pas d’autre but que de noyer le poisson, ou de faire décrocher le lecteur qui sait d’avance ce qu’il faut savoir, ce qui équivaut, le plus souvent, à parfaitement savoir ce qu’il faut taire, à savoir le fiasco total de l’appareil policier, et à parfaitement savoir s’en sortir en faisant savoir que, finalement, le taux de PLV reflète un facteur culturel profond – par ailleurs nié en tant qu’attentatoire à l’unité culturelle de la nation –, ce qui permet de reconnaître de manière torve et globale une spécificité culturelle non point tant pour autoriser et favoriser son expression que pour justifier et planifier son éradication, de plus, de manière assez confortable puisque l’impuissance à le faire permet de plaider sans cesse l’augmentation et la diversification des moyens de lutte, sous réserve que l’échec patent et constant soit affecté à la résistance des uns plutôt qu’à l’incompétence des autres. Outre que l’impuissance à réguler provoque des dérégulations qui détruisent de l’intérieur ce que l’on fait mine de tout faire pour réguler. « Qu’ils se pendent entre eux », dira-t-on alors sotto voce, pour s’en laver les mains entre soi.

[] Image d’après Eine Herde Ziegen auf Korsika, Amanda44, [SOURCE]

ADDENDUM. – La réalité, c’est ce qui dépasse la fiction, dit-on. Après avoir mis en ligne le ci-dessus billet, je lis en plusieurs endroit que des services bien intentionnés s’apprêtent à réduire la PLV senior en distribuant aux auxiliaires de vie qui accompagnent le troisième âge vers la mort des petites malettes de détection des dépressions spécifiques du vieillard. Comme je retrouve certains propos répétés dans tous les articles, j'en déduis qu'ils figurent dans la vulgate livrée dans le dossier de presse. Ainsi, duplique-t-on partout quelque chose qui asserte ceci : la dépression des personnes âgées se soigne comme celle des ados. Ce qui est une manière de se féliciter de vivre dans un monde où, du berceau au cercueil, en passant par la puberté, il y a des outils pour détecter tous les chagrins et des pillules pour les effacer. (Mise à jour du 19 juillet 2013, 13h25).

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