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Isularama
3 mai 2015

Parade en rade

GALETS SOMBRES

Devant le convoi des barges, on envoya donc une galère des Hospitaliers de la Sainte Mer, avec mission d’éloigner les marsouins à la crécelle, les baleines au cantique et le mauvais sort à la prière. La chiourme avait déjà ses rames, sa jarre d’eau croupie, son tonnelet de croûtons secs, où on versa un filet d’huile d’olive en récompense des efforts à fournir, dont on rehaussa le goût d’une pincée de belles promesses, assurant les rameurs que quelques salaisons des îles leur seraient données à quai s’ils arrivaient à bon port sans que les barges délabrées qu’ils tiraient au radoub n’aient trop dispersé au large leurs poisses, leurs calfats et leurs liqueurs de fond de cale.

La coursive fut garnie d’une escouade de carabiniers armés de claquettes, de crécelles et de sifflets de marine. La cabine fut pourvue de quelques palanquins comme les orientaux en dressent sur les chameaux quand, d’une oasis à l’autre, se déplace un de leurs harems, les officiers s’étant en effet mis dans l’idée d’offrir un divertissement naval aux plus chères de leurs filles, de leurs épouses et de leurs maîtresses, dont ils pensaient surtout qu’elle se mêleraient joliment au tintamarre en donnant aux prières leurs répons, en joignant aux crécelles leurs caquet, et, s’il fallait jouer de la couleuvrine, en ajoutant au canon leurs cris de joie.

Ah ! S’ils avaient pu aussi embarquer cette foule massée sur les grèves du petit port de Gilio, c’est toute ses clameurs et son tumulte, ses vacarmes et sa fanfare, qui eussent été de l’aventure, mettant à la mer un ouragan de bravos et de vivats ! Hélas ! Leur joie se limitait à voir enfin ces sinistres épaves et ces ruines malsaines quitter leur rivage.

Qu’importe, en effet, à leurs yeux les dangers que d’autres courent si la menace s’écarte d’eux. Peu leur chaut que les courants ordinaires de la mer ligure poussent à la Corse la poix et les poisses. D’ailleurs, en cette affaire, il n’était de bon grabuge que l’esclandre écartant avant tout les orques et les épaulards : il n’est en effet de solennité efficiente que celle qui protège du peu, comme il n’est de pompe utile que celle qui tempère et estompe les grandes peurs. Dès que le train prit du large, on entonna — dont jamais les couplets ne furent chantés en mer avec autant de ferveur, ni le refrain clamé avec autant d’enthousiasme — le Læti Concordia :

« Læti Concordia
Baccala per Corsica »

Le Roi de France dépêcha un ambassadeur et une corvette sur la mission de suivre la marche de l’armada d’assez près pour mettre à portée de longue vue non seulement la posture raide et indignée du diplomate tenant ferme le bastingage, mais surtout son visage constipé aux fin qu’on puisse, de l’escadre le scruter à la lunette et lire sur ses lèvres sa moue.

À la jumelle, depuis les hauteurs de Bastia, comme il tournait le dos à la Corse, il n’y avait rien d’autre à lire du plénipotentiaire que son cul. Ce que nous savions parfaitement faire, tant nous étions accoutumés à ce que les rois ou leurs diplomates, les princes ou leurs préposés, ne tardent jamais à nous tourner le dos sitôt après être venus flairer sur place la solidité de leurs certitudes et y exposer obstinément et publiquement leurs immuables prétentions et suprêmes prépotences.

Massés sur le point culminant de la citadelle, une délégation ordinaire de la jeunesse estudiantine dressait haut vers le large le majeur de leur main droite, geste de dépit de l’élève appliqué ayant trop souvent levé la main sans qu’on ne lui eut jamais donné la parole.  

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