Soigner une maladie chronique : dyslexie éditoriale

Si le projet « Chronique littéraire » m’était passé entre les mains, pour validation, j’aurais rendu sa copie à l’éditeur avec les annotations suivantes :

Structure générale du recueil
1° Si c’est une chronique, pourquoi les textes ne sont-ils pas présentés par ordre chronologique ?
2° Quel ordre la succession des textes suit-elle ? Quelle progression cet ordre cherche-t-il à établir ? Comment rendre cet ordre manifeste ?
3° Si le classement est thématique, comment faire apparaître les sous-ensembles constituant le recueil ?
4° Cette thématique établit-elle une partition correcte de l’ensemble des textes ? Cette partition est-elle homogène (des sous-ensembles de tailles voisines) ? Est-elle discriminante (le nombre de sous-ensembles est très inférieur au nombre d’objets) ? Peut-elle être facilement mémorisée ( son empan ne dépasse pas les capacités de la mémoire à court terme) ?
5° Cette thématique est-elle intuitive (des catégories usuelles) ou contre-intuitive (des catégories novatrices) ?
6° Comment cette thématique est-elle étiquetée ? Avec quels mots clefs ? Selon quelles formules ?
7° Si cette thématique résulte d’une analyse multicritère où un objet peut appartenir à plusieurs classes, comment rendre manifeste l’indexation des textes selon ces multiples critères ?

Structure d’un article
1° La thématique devrait permettre d’établir des rubriques, à passer en tête d’article.
2° La date est une information première, à passer en tête et non pas en pied d’article.
3° Il serait judicieux de faire précéder tous les articles de quelques lignes d’introduction générale restituant le contexte. Dans l’actualité du moment, quel était l’événement déclencheur, le débat en cours, l’ambiance, le repère historique, etc. ?
4° À l’origine, ces articles ont été publiés dans les formes éditoriales propres à des mensuels. Que restituer de ces formes ? Que rappeler de cet état ? Peut-on négliger, notamment, les illustrations accompagnant certains articles ? Etc.

Recommandation à vide
Ce projet aurait dû être développé en coédition avec le mensuel Corsica, qui a pris le relais du mensuel historique Kyrn. Toutes les remarques précédentes, même si elle sont énoncées dans un langage écarté de celui qui a cours dans les écoles de journalisme, réfèrent à des réflexes éditoriaux couramment pratiqués dans la presse, et correctement transposés aux livres de transmission de connaissance, notamment dans les collections de vulgarisation, mais visiblement ignorés de certaines officines d’édition. À cet égard, un journaliste stagiaire, avec le triple appui d’un éditeur, d’un rédacteur en chef et du rédacteur des articles, aurait apporté la valeur ajoutée qui manque à ce projet. Il a, en effet, été conduit comme s’il s’agissait, contre subvention, de procéder, au mieux, à un simple archivage. Pas de lancer un travail de valorisation de cet ensemble de textes à tous points de vues remarquables.

Coup de pique
Voyez la couverture. Un fond couleur de treillis sur lequel quelques titres, illisibles et colorés, pendent comme des breloques épinglées sur la poitrine d’un général d’opérette. Et c’est ainsi que l’on emballe une chronique couvrant plus d’un quart de siècle de littérature, en projetant quelques uns de ses intitulés sur une grille de mots fléchés. Marie-Jean Vinciguerra méritait un tout autre blason, et je pleure en voyant des textes qui autrefois m’on fait vibrer, et encore vibrants, aujourd’hui publiés dans une édition totalement dyslexique. Il est temps de passer à la vitesse supérieure. La bonne volonté est, certes, une chose admirable. Il ne coûte pas grand chose d'y ajouter un petit supplément dans la maîtrise des formes éditoriales. Le savoir faire est à portée de main. Gagnant qui ouvrira les yeux.

Marie-Jean Vinciguerra,
Chroniques littéraires : la Corse à la croisée des XXe et XXIe siècle.
Ajaccio : Alain Piazzola, 2010