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Isularama
10 juin 2009

La littérature est un sport de combat

Mise à jour : mise à pied
En octobre 2010, France Culture ajoutait à cette réédition une postface rédigée dans le style « ressources humaines » signifiant à Pascale Casanova son licenciement après 25 années consacrées à moduler de la fréquence radio et de l'intelligence des lettres. Voir, à ce propos, l'article publié le 9 octobre 2010 sur le site d'ACRIMED, « un hommage d'écrivains ». Ce licenciement devrait conduire à écrire d'avance un fiction anonyme qui ajouterait à « La République Mondiale des Lettres » un tome second où la chose littéraire tomberait sous la coupe de fonds de pension, où des traiders arrogants et stupides gèreraient le petit patrimoine d'une myriade de vieillards arrivant au terme d'une vie de peur ininterrompue et de soumission perpétuelle.

CV_Republique_Lettres


En poche
En octobre 2007, La République mondiale des Lettres, de Pascale Casanova est passée en poche, un peu moins de dix ans après sa sortie. Offrons-nous donc, enfin pour 12,00 €, une réflexion très documentée sur les propriétés générales du champ littéraire, et sur les caractéristiques ordinaires des trajectoires littéraires qui s’y déploient.


Sur le champ
En gros, où que l’on situe l’observation, il y a toujours un bas et un haut qui donnent les directions cardinales ; il y a toujours une force qui, comme la gravité, s’exerce selon ces directions cardinales ; il y a toujours une lutte, contre ou avec cette gravité, pour déplacer dans ce champ sa personne et ses œuvres, comme pour y déplacer la personne et les œuvres des autres.


De bas en haut
L’ouvrage de Pascale Casanova est fondamental, et sa lecture indispensable, dès lors que l’on occupe dans ce champ la position plutôt basse de l’écrivain inconnu, œuvrant de surcroît dans les recoins peu prisés des littératures régionales.
En effet, cet auteur-là peut tirer profit d’un regard lucide porté sur des mécanismes qui sont d’autant plus efficaces qu’ils sont dissimulés et se donnent, d’entrée de jeu, comme absolument réfractaires à toute analyse sociologique.


Des actes
L’ouvrage est fondamental, aussi, dès lors que l’on s’interroge sur les moyens à mobiliser et les actions à inventer pour accroître la dynamique d’un champ aussi périphérique et secondaire que celui, par exemple, de la littérature corse. Il est fondamental, aussi, pour situer — et éventuellement jauger — les actes en cours. Actes critiques, comme en développe le blog « Pour une littérature corse ». Actes de publication, comme cette anthologie du voyage en Corse qui, déroulant en synoptique le regard des autres s’insère dans la collection « Bouquins » et dans sa manière particulière de « pléiadiser » toutes sortes de morceaux choisis, taillés ailleurs que dans le filet.
Michel Vergé-Franceschi, Le Voyage en Corse, Paris : Robert Laffont, 2009. (Coll. « Bouquins »).


C’est politique !
Si cette lecture est fondamentale, c’est parce qu’elle restitue la dimension politique de l’acte littéraire, et fournit, au passage, une manière de repenser la dimension littéraire des actes politiques.
Après tout, à quoi travaille-t-on d’autre, dans un cas comme dans l’autre, qu’à déplacer ou immobiliser l’imaginaire, le libérer ou le ligoter ? Qu’à agiter les utopies, les peurs, les menaces et les espoirs, aux fins de modifier ou d’ossifier les règles du jeu du moment ? Qu’à détourner à son profit la figure de l’homme moderne, au besoin en usant de techniques de pointe pour restaurer les bonnes vieilles dominations d’antan ?


TRAVAUX PRATIQUES
Aux actes, citoyens !
Donnons un exemple d’acte littéraire court, de manière à monter qu’il reste possible d’agir sans donner d’entrée de jeu à ses actes le format d’une édition Pléiade, en empruntant, par exemple, aux procédés de la thérapie brève plutôt qu’en sacrifiant aux processus long des consécrations séculaires : 
« La Corse, qui a appris de longue date à agiter ses moignons pour faire tomber à ses pieds la subsistance venue d’en haut, est un peu dans la position du rat de laboratoire qui s’imagine avoir dominé le dispositif expérimental et dressé à ses ordres la laborantine qui y officie. La science — hommes et machines — ne lui obéit-elle pas au doigt et à l’œil ? En effet, chaque fois que notre rat appuie comme il faut sur la bonne pédale, il provoque le comportement souhaité et obtient, en retour, sa petite boulette et, de surcroît, un joli sourire de laboratoire. »
Encore plus cocasse.
« Imaginons que le rat se tourne vers ses congénères pour recueillir leur admiration, et leur apprenne à lui demander avec déférence de bien vouloir appuyer, en leur nom et de toute sa force, sur la pédale qu’il sait si bien manœuvrer… »
Jean-Félix Cacciamosca, Pause buffet et arrêt cardiaque, Ghisonaccia : La Gare, 2010.


Notarella
Si je suis parent avec Pascale Casanova ? Oui, on descend tous les deux du même sociologue. Mais elle, en slalomant avec une extraordinaire aisance, et moi, en chute libre et sans vraiment maîtriser la réception au sol. Partager la même gravité et la même lignée ne fait pas tout. Reste le style personnel et les années de travail qui précèdent sa cristallisation.
Reste aussi que la paillette a tout intérêt à se trouver une parenté avec le lingot.


Notulina
Pascale Casanova, La République mondiale des Lettres, Paris : Le Seuil, 2008. (Coll. « Points »). 1ère éd., 1999.

 


Xavier CASANOVA

 

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Commentaires
C
François, merci pour l'accueil très sympathique que tu as bien voulu réserver à la note qui me cite. Et pardonne-moi d'avance pour l'inévitable déception que je vais t'infliger : ce livre n'existera jamais, ce qui n'empêche nullement d'acquérir à travers lui une certaine notoriété. Il est hors de question, pour ce qui me concerne de continuer à travailler à l'envers, et de confier mes livres à l'éditeur comme on met des enfants en nourrice. Il en est qui ont la fâcheuse tendance de passer leur journée à les regarder sans mot dire, à prendre une mine dépitée, et à retourner sans cesse in peto la méditation suivante : « Celui-là, je me demande vraiment ce qu'il a dans le ventre. » Or elles le savent bien, elles qui coupent le lait du biberon avec un verre à moutarde d'eau du robinet : « La passe », disent-elles. En ajoutant parfois : « Excuse-moi, petit, c'est une obligation fiscale. » <br /> PS : pour ce qui est du livre de Vergé-Francheschi, je me suis renseigné : le Point Presse de Ghisonaccia se fait un point d'honneur à ne mettre en rayon que des livres qui existent.
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R
Xabier,<br /> bravo pour ce billet. Je trouve aussi l'ouvrage de Pascal Casanova incontournable, à critiquer aussi : c'est peut-être totalement utopique, mais j'ai l'impression que la révolution numérique peut permettre de redistribuer les cartes, de passer outre les grands Centres - Paris, Londres, New York - pour pouvoir être adouber symboliquement.<br /> <br /> Je pense aussi à un texte de Raphaël Confiant qui critiquait l'hégémonisme littéraire des grandes langues européennes sur le champ littéraire mondial. <br /> <br /> Comment faire ? Je crois - comme Bernard Stiegler - aux "communautés de passionnés" : les lecteurs (de littérature corse par exemple) n'ont pas besoin que Paris/Londre/New York disent : tel auteur corse est génial, voici un prix pour lui. Par contre je suis persuadé qu'il est nécessaire de produire une parole critique (un espace commun et public : via le Web justement, notamment via le Web, pas seulement).<br /> <br /> Bravo pour tes inventions, tes hétéronymes, au bout d'un moment toute la littérature corse semble avoir été écrite par Xavier Casanova ! Je pense au livre fictif (?) de Paul Silvani que tu évoques dans la Typoscription que tu m'as envoyée et que j'ai placée sur le blog "Pour une littérature corse" (billet : http://pourunelitteraturecorse.blogspot.com/2009/04/un-recit-de-lecture-deux.html)<br /> <br /> Ainsi, le livre de Vergé-Franceschi : encore un livre sur la Corse via les voyageurs ??!! Encore ? Je ne peux y croire. Puis je vois que tu cite un livre de Jean-Félix Cacciamosca : j'aimerais tellement que ce livre-là existe, lui !! Le titre est génial, c'est à mourir de rire.<br /> <br /> Allez je vais aller voir si le livre de Vergé existe vraiment...<br /> <br /> Et il faut que je reprenne celui de Pascal Casanova : l'édition en poche est augmentée d'une pré ou postface qui m'a semblé intéressante car elle y raconte comment elle a été confrontée à l'incompréhension du Centre Symbolique au-dessus de la France (New York et le monde anglo-saxon)...
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