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Isularama
16 septembre 2010

Jérôme Ferrari, seconde

Garde à vous !

Repéré
Parmi les livres récents dont j’attends quelque chose, la première place est actuellement occupée par
Où j’ai laissé mon âme, de Jérôme Ferrari. J’ai déjà dressé ici un relevé des premières réactions glanées sur le net. J’ai eu le plaisir de lire récemment les deux analyses livrées en ligne dans leurs revues littéraires, l’une par Emmanuelle Caminade in 
L’Or des livres, et l’autre par Angèle Paoli in Terre de femmes. N’ayant toujours pas lu le livre, je n’ai pas à souscrire à ces articles où à m’en démarquer. Mais ce sont de vraies analyses, et leur lecture m’a incité à me livrer à un exercice peu courant : décrire mes propres présupposés d’avant lecture. C’est bien ce matériau qui va, demain, être confronté au texte lui-même.

Ouvrez le ban !

Schématisé
J’ai lu et aimé
Un dieu un animal, que j’ai perçu comme le déroulé condensé de parcours de vie typiques. L’entrée dans l’âge adulte d’un individu sans autre héritage qu’une confrontation précoce et solitaire à la mort donnée, exercée à la carabine sur les petits oiseaux. Pas d’autre avenir qu’un calibre plus sérieux et le métier des armes. Dans ce cadre, l’alternative est simple : glisser dans la délinquance ou se glisser dans l’uniforme. Lui, avec sa violence bancale, est admis dans l’armée. L’autre, son double, son ami d’enfance, a été renvoyé dans ses foyers, et sa violence impulsive avec lui. Les troupes privatisées déployées en Iraq créent un entre-deux où partager leurs destins, sous l’uniforme commun du supplétif mercenaire et privé. Il s’y engage. Il y attire son double, qui meurt sous ses yeux déchiqueté dans un attentat suicide commis par une femme. Femme explosive, et anonyme. Celle qui porte un nom, c’est l’amie d’enfance, point de naissance d’un amour juvénile, inabouti et de plus en plus impossible. Alors qu’il affronte la violence d’une guerre qui y ressemble assez peu, elle affronte la violence d’une concurrence généralisée et les stratégies très personnelles qui s’y déploient. Elle surnage. Il se noie. Il l’appelle. Ils se voient. Il s’enfuit. Retour au village. Réclusion. Et…

Projeté
Sous cette trame se profile une vraie réflexion sur la violence. Non pas sa dénonciation hypocrite à coup de formules toutes faites, et au mieux bien faites. Non pas son affectation à une zone sociale ou humaine désignée, localisée, et offerte à un geste chirurgical. Mais violence latente, très exactement comme l’amour est d’abord une latence. Violence qui ne sera jamais que ce que l’on en fait, entre abandon à des pulsions de mort, captation ou anéantissement de la puissance d’autrui, restauration violente de la paix, ou construction d’un espace de respect mutuel. Comme l’amour, qui peut n’être qu’une réponse ponctuelles et répétées à des pulsions, ou une manière de partager durablement la condition humaine en ses multiples facettes. Se profile alors une interrogation sur la violence de la négation sécuritaire de la violence, comme une interrogation sur l’hypocrisie des discours normatifs sur le sexe : quelque soit leur contenu, ils pénètrent la sphère intime et biaisent ce qui s'y engage, là où se joue toujours davantage que ce qu’en disent les leçons de chose ou de morale sur le bon usage des organes. Idem de la violence.

Présupposé
Où j’ai laissé mon âme
annonce des continuités dans cette réflexion sur la violence. Sa présentation générale met en scène deux officiers, dans un décor de villa des tortures et un contexte de Bataille d’Alger. À nouveau la guerre et le métier des armes, évoqués dans les missions limites d’une armée régulière déployant sa force dans une guerre qui ne dit pas son nom, et dans une mission de maintien de l’ordre conduite comme une guerre. Pour ce qu’en dit la présentation, on peut s’attendre à un dialogue restituant cette situation d’exception à travers les états d’âme qu’ils suscitent. Trois positions typées. Le sacrifié, terroriste ou martyr, selon la manière dont l’Histoire boucle le dossier. L’exécutant qui exécute, en reprochant à son supérieur ses tourments. En attendant de lui une confirmation qui justifierait ses actes insensés, à savoir une mise en concordance manichéenne, sans interposition de quelque considération que ce soit, entre les violences aveugles du fait terroriste et de son traitement policier. Le troisième type est le gestionnaire. Il gère bien, même s’il digère mal. La violence est filtrée par sa transcription en fiches et diagrammes : schématisée et comme telle, accessible à l’entendement, toutes passions et fioritures mises par ailleurs à l’écart. L’intelligence est sauve. La violence est aussi filtrée par la dissociation de l’homme et de la fonction. Sa propre dissociation, permise par des jeux d’écriture : une étagère pour les textes sacrés, l’autre pour les mains courantes. Pas de chiasma optique pour mixer dans une image unique l’essentiel et l’accidentel, le spirituel et le temporel. La dissociation de l’autre, permise par le rituel : à l’homme les honneurs militaires, à sa fonction la mort. L’honneur est sauf : les deux têtes sont hautes. Et la guerre traditionnelle, à l’ancienne, sacrificielle, est réinjectée de manière fugace et en coulisses, dans ce conflit qui en bouleverse les règles, les normes et les rites.

Attendu
Par ailleurs, un retour en arrière sur une histoire brûlante, dans une perspective qui n’est pas celle d’un historien, a très vraisemblablement plus de portée sur le présent – braises qui couvent, feux qui courent – que sur le passé. Et, à cet égard, je salue comme salutaire l’introduction, par littérature interposée, d’une réflexion sur la violence. Et si ce n’est une réflexion, tout au moins une mise en scène éclairante. Au demeurant, n'oublions pas que le passé a déjà été debrieffé dans des cercles qui ont filtré et décanté la torture pour séparer sa fraction inacceptable (par les opinions, s'entend) de sa fraction utile et transposable : la peur et les régressions qu'elle engendre. Voir, à ce propos, chez le même éditeur : KLEIN (Naomi), La Stratégie du choc.

Fermez le ban !

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